Démocratie

Sommes-nous en démocratie ?

"Chez les Athéniens, tout dépendait du peuple et le peuple dépendait de la parole."  Fustel de la Coulanges, in "La cité antique"

     L'histoire de notre rationalité occidentale débute avec la révolution que connut la cité d'Athènes, dans la Grèce antique, du VI au IVe avant l'an zéro. Le terme de LOGOS ( traduit par discours ou raison) signifiait l'alliance de la parole et de la pensée.

    Qui dit démocratie pense au gouvernement direct du peuple par le peuple. De fait, l'étymologie ne dit pas autre chose (en grec dêmos signifie le peuple, kratos le pouvoir).

    Aux environs du VIe avant Zephiros (notre ère), les Athéniens ont institué la démocratie, cette forme de gouvernement par le peuple, où les points de vue opposés peuvent s’affronter publiquement sous la forme de discours. Cette invention du débat contradictoire a été ensuite utilisée par les Grecs dans les domaines de la pensée, en particulier la philosophie qui consistait, à l'origine, en la discussion. C'est à la même époque que naît la rationalité occidentale.

« Quand nous abordons la naissance de la démocratie et de la philosophie, ce qui nous importe, c’est notre propre activité et notre transformation de la société et du sujet (…) c’est la Grèce qui a créé la possibilité de ce projet de compréhension : comprendre sa propre histoire pour se transformer soi- même. » Castoriadis, 2004, pp 52 -53.

   Les mots ISONOMIA (égalité des chances) et PARRÈSIA (liberté de parole) ont précédé celui de DÉMOCRATIE pour en étoffer le principe.
    Les Grecs entendaient par égalité, le droit pour tous à participer aux décisions politiques. EURIPIDE l’exprime ainsi : «  la liberté est dans ces mots : « Qui veut, qui peut donner un avis dans la cité ? » Alors celui qui veut parle et l’autre se tait. Est-il plus belle égalité ? » Dans ce texte le premier mot est « liberté » et le dernier « égalité ».

    Née de la TYRANNIE, la DÉMOCRATIE est fondée sur la parole : donnant le pouvoir à tous par le droit à parler, elle consacre donc ce droit par la loi qui veille aux institutions de la cité, tout en luttant contre la violence. DÉMOSTHÈNE considérait la loi  comme une défense contre le droit du plus fort. L’existence des lois fut reconnue comme la condition de la démocratie. Cette obéissance aux lois est liberté et l’absence de lois est tyrannie. En fait, ces lois n'étaient que des règles générales d'ordre public et rappelaient que la démocratie n'est pas l' OCHLOCRATIE (okhlos, "foule" et –kratos, "pouvoir" = gouvernement par la foule, donc la populace).

   Cette démocratie n’était pas fondée sur la forme directe. Le peuple athénien n'intervient pas dans la préparation et l'exécution des décisions prises par l'assemblée ; son pouvoir se limite à élire des magistrats et à leur faire rendre compte de leur gestion des affaires de la cité. Les charges étaient effectives ou attribuées selon un système mixte de tirage au sort et d’élection ; et les citoyens avaient le droit de vote et celui de présenter des propositions dans les assemblées populaires. De fait, l'assemblée ne réunissait qu'une fraction des citoyens (6 000 en moyenne sur les quelques 30 000 que comptait la cité.)

   La démocratie grecque est ce régime d’une société dont toute l’organisation et l’économie reposent sur l’esclavage. Pour ARISTOTE, un esclave était « outil parlant ». De plus, elle exclue les femmes de la participation à la vie publique. Dès le VIéme siècle, à Athènes, le mouvement démocrate contenait un fort courant revendicatif quant à l’abolition de l’esclavage, avec à sa tête, entres autres, EURIPIDE.

   Les penseurs politiques influents de la fin du Ve siècle et du IV siècle avant Zéro. se méfiaient de la démocratie. PLATON, XÉNOPHON, ISOCRATE et ARISTOPHANE : tous y étaient opposés, et ils ne cessaient de vouloir révéler son caractère dévoyé et excessif. Le peuple était synonyme de racaille, de populace !

   Le mot grec POLITÉA, que nous traduisons par « constitution », recouvrait un sens beaucoup plus large et impliquait les façons de vivre, les mœurs et même les valeurs.

   Du point de vue moral ou religieux, les « lois non écrites » permirent à ARISTOTE d’élaborer la notion de lois naturelles.

   La démocratie athénienne, alliance de la liberté et de l’égalité, est autant morale que politique. Elle concerne également les mœurs, la façon de vivre. Ce principe rend les Athéniens fiers, heureux et solidaires, avec un sentiment très fort d’appartenir à une même communauté de destin et un très grand dévouement naturel. La fraternité est là. Cette démocratie faisait déjà une claire distinction entre sphères privée et publique.

    Dès l’origine, la démocratie porte en elle une ambivalence : elle est un régime d’égalité et de liberté, mais ce régime implique l’obéissance à une loi, la fidélité à une constitution et une souveraineté qui exclut tout despotisme. Aristote, (Politique, 1317 b) : « Le principe fondamental du régime démocratique, c’est la liberté. Une des marques de la liberté, c’est d’être tour à tour gouverné et gouvernant. »

    Au IV siècle av. Zéro., dans un contexte de contestation sociale, est créée une distinction qui concerne les aspects sociaux et économiques : différence entre l’égalité arithmétiqueà chacun la même chose – et l’égalité géométrique – à chacun selon ses besoins ou ses possibilités.

   Cette idée de proportion dans l’égalité n’a guère été utilisée par les grecs. Elle est, par contre, à la base du système constitutionnel romain où le poids politique de chaque citoyen dépend de son degré de fortune. C’est le principe du régime censitaire qui aboutit dans les faits à remplacer l’égalité par l’inégalité : qui possède vote pour élire quelqu’un qui possède encore plus que lui.

    Les révolutionnaires de 1789 ont associé le mécanisme de la représentation à l'idéologie de la souveraineté nationale (le peuple). Théoriquement, depuis cette date, nous ne sommes plus des sujets. En tant qu’individu à égalité de droits, le citoyen est à la base de la République. Pour consacrer le citoyen, ROBESPIERRE et les jacobins ont instauré le suffrage universel direct en 1792. CONDORCET et SIEYES estimaient que « si tous les Français devaient cesser d’être des sujets pour devenir des citoyens, certains citoyens devaient être toutefois plus citoyens que d’autres ». C'est ce qui a fait dire à Coluche, en parodiant " La Fermes des animaux" de George Orwell et Aristote, pour qui " l'homme est par nature un animal politique " : « Les hommes naissent libres et égaux, mais certains sont plus egos que d'autres ».

   Dans l’Athènes du Ve siècle avant notre ère comme dans la France révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle, l’aspiration démocratique s’est d’abord affirmée en réaction à un pouvoir politique arbitraire et affranchi de tout contrôle.

   La cité d’Athènes doit nous servir de modèle par ses dérives, ses défaillances et ses crises pour mieux comprendre la politique aujourd’hui, et la crise qu’elle traverse, tant le discours démocratique moderne se révèle finalement aux antipodes de la notion grecque de la démocratie.

   Le couple du citoyen et du représentant est toujours au fondement de notre système politique, bien qu'il se singularise principalement comme une une PLOUTOCRATIE (pouvoir de l'argent) gouvernant nos vies par une OLIGARCHIE, qui sert en se servant ! Ces oligarques ne sont ni de droite, ni de gauche, ni du centre : ILS SONT EUX.  

Daniel Adam-Salamon

Déni de démocratie parlementaire

    Le cynisme des politiques lors de la modification de la loi constitutionnelle de 2008 a permis un coup d'État juridique de l’Assemblée nationale et du Sénat contre la souveraineté législative du peuple. Le NON au Traité Européen lors du référendum de 2005 a été contourné afin de reconnaître et faire admettre le traité de Lisbonne ! Non sans limiter les prérogatives de la démocratie représentative.

   Le 21 juillet 2008, grâce à l'abstention des socialistes, et donc à leur hypocrisie, la souveraineté législative est morte de sa belle mort, puisque les députés et les sénateurs ont conféré au Conseil constitutionnel, en collaboration avec la Cour de cassation et le Conseil d'État, le pouvoir de contrôler rétroactivement, en déni du droit lui-même, la conformité à la Constitution des lois déjà publiées. 

   Ce coup d’état juridique était justifié, entre autres conneries constitutionnelles, par l’invention de l’article 47-1 : « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale (instituée par la révision constitutionnelle du 22 février 1996 du gouvernement Juppé) dans les conditions prévues par une loi organique (loi relative à l'organisation des pouvoirs administratifs, qu’ils soient législatifs, juridictionnels, gouvernementaux et administratifs). » Et ce, en première lecture, dans le délai de 20 jours au lieu de 40 après le dépôt d'un projet pour l’Assemblée générale et de quinze jours pour le Sénat.

    Ironie : le recours à cet article 47-1, pour régénérer le parlementarisme, devait limiter l’usage (5 fois par an) de l’article 49.3 qui vise ni plus ni moins qu’à renforcer les pouvoirs de l’exécutif, limités par le 47-1 !

    Que faire ? sachant que depuis 2000 « sous un gouvernement de « gauche plurielle », tous les référendums ne visant pas à modifier la Constitution (article 11) peuvent être annulés par le Conseil constitutionnel. Et que ceux voulant la modifier (article 89) doivent être soumis à l'accord des deux assemblées, l’Assemblée nationale et le Sénat (ce qui fut le cas en 2008).

    C’est Robespierre qui nous rappelle, dans son discours devant la Société des Jacobins, le 18 décembre 1791, que le pouvoir exécutif est toujours un traître en puissance et qu’il faut le subordonner au pouvoir souverain du peuple si le pouvoir législatif (l’Assemblée nationale) faillit. La dite réforme des retraites est la parfaite démonstration de cet échec.

    Le seul espoir qui reste est de casser au plus tôt ce monde, pour la bonne raison qu’il n’est pas fait pour les êtres vivants, qu’il va nous faire la peau, et qu’il est peu probable que l’on ait accès à un paradis post-apocalyptique en compensation de notre docilité.

le 10 avril 2023

Daniel Adam-Salamon